Lorsqu’un conflit oppose un salarié à son employeur devant le conseil de prud’hommes, les témoignages de collègues peuvent jouer un rôle déterminant. Mais il arrive qu’un salarié, sollicité pour témoigner, hésite à se manifester ouvertement, craignant des représailles. Cette situation soulève une question essentielle pour les entreprises de taille PME : un salarié peut-il témoigner anonymement dans le cadre d’une procédure prud’homale ?
Témoigner en justice : un acte encadré et essentiel dans les litiges du travail
En droit du travail, tout salarié peut être amené à témoigner dans un litige opposant un collègue à l’employeur. Ce témoignage prend généralement la forme d’une attestation écrite conforme au formulaire Cerfa n°11527*03, qui doit être signée et accompagnée d’une copie de la pièce d’identité du témoin.
Ce formalisme a pour objectif de garantir la fiabilité du témoignage et de permettre à la partie adverse d’en discuter la portée. L’anonymat pur et simple est donc, en principe, incompatible avec ce type de procédure : un témoignage non signé et non identifié ne peut pas valoir preuve à lui seul.
Une ouverture jurisprudentielle : prise en compte possible d’un témoignage anonymisé
La Cour de cassation est toutefois venue nuancer ce principe dans un arrêt récent (Cass. soc., 19 avril 2023, n° 21-20.308). Elle a jugé qu’un témoignage anonymisé pouvait être pris en compte par les juges à deux conditions : que l’identité réelle du témoin soit connue de l’employeur et que d’autres éléments viennent corroborer les faits rapportés.
Autrement dit, si un employeur est informé en interne de l’identité du témoin, même si celle-ci n’est pas révélée dans le dossier remis au juge, et que le témoignage est appuyé par des preuves complémentaires (mails, échanges écrits, autres attestations), alors les juges peuvent en tenir compte dans leur appréciation globale du litige.
Conséquences pratiques pour les entreprises de taille PME
Dans une PME, où les relations sont souvent plus proches et les équipes plus restreintes, les salariés peuvent être particulièrement réticents à témoigner contre leur employeur. Cette crainte est compréhensible, mais le droit offre certaines protections.
Un salarié ne peut pas être sanctionné, licencié ou discriminé pour avoir témoigné dans le cadre d’un contentieux prud’homal. Une telle mesure serait considérée comme une atteinte à la liberté fondamentale de témoigner, et donc susceptible d’être annulée par le juge. Le témoignage, même s’il est perçu comme défavorable par l’employeur, est protégé par le principe de loyauté dans l’administration de la preuve.
Le conseil de l’avocat : anticiper les conflits et sécuriser les témoignages
Pour les employeurs, la gestion des témoignages internes nécessite à la fois prudence et rigueur. Lorsqu’un salarié accepte de témoigner, l’entreprise doit veiller à respecter strictement ses droits et à prévenir tout risque de pression ou de représailles. Il est essentiel de rappeler à l’ensemble des collaborateurs que le témoignage, même défavorable, entre dans le cadre de l’exercice des droits de la défense.
En cas de conflit potentiel, il est recommandé : – d’encadrer la collecte des témoignages par un conseil juridique – de conserver une traçabilité claire de l’origine et de la forme des attestations – d’éviter toute mesure qui pourrait être interprétée comme une réaction à un témoignage
Enfin, si un salarié souhaite témoigner mais craint des conséquences internes, il peut être utile d’envisager une médiation ou un accompagnement par le CSE ou un avocat pour le rassurer sur ses droits et sur la protection dont il bénéficie.
Références juridiques
Article 202 du Code de procédure civile
Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, 19 avril 2023, n° 21-20.308
Formulaire CERFA n°11527*03 : Modèle d’attestation de témoin
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